Les délibérations de la Constituante ont abouti à l’élaboration de principes retenus par le plénum. Mais qu’en est-il en matière de politique environnementale ? Jean-Yves Riand de l’association Appel Citoyen livre ici sa prise de position.
Des principes nouveaux
Les buts de l’Etat déclinés dans trois alinéas à l’art. 106, affirment que l’Etat « préserve les intérêts des générations actuelles et futures », « protège l’environnement et les ressources naturelles », « vise à la neutralité climatique », et « œuvre au développement durable ».
Dans les tâches publiques, sous le chapitre développement durable (art. 408) « l’Etat veille à un usage économe et équitable des ressources naturelles ainsi qu’à leur capacité de renouvellement. Il garantit aux générations futures un environnement sain et sûr en veillant au respect des limites planétaires », reprenant ainsi la formulation d’un concept défini et appliqué dès 2012 par les Nations Unies, puis par l’Europe dans son programme d’action 2013-2020 pour l’environnement.
Dans le chapitre consacré à l’aménagement du territoire, sous énergie et climat (art. 502), l’Etat « met en œuvre des politiques susceptibles de lutter contre les changements climatiques », ajoutant qu’« il vise la neutralité carbone et encourage les initiatives et les mesures concrètes qui y contribuent durablement ».
Sous ressources naturelles (art. 503), il est dit que « l’exploitation des ressources naturelles, notamment l’eau, l’air, le sol, la forêt, doit être compatible avec la durabilité » et sous agriculture et sylviculture (art. 504), l’Etat « soutient l’agriculture et la sylviculture dans leurs fonctions économique, protectrice, écologique et sociale » en encourageant ces activités afin qu’elles soient « respectueuses de l’environnement et des animaux » et « favorisent une production locale de qualité et le maintien des valeurs paysagères et du patrimoine rural ».
Enfin, sous le chapitre biodiversité, environnement, nature et paysage (art. 505), « l’Etat et les communes veillent à la sauvegarde et à la valorisation de la biodiversité et des milieux naturels », ajoutant que « les impacts gênants ou nuisibles pour l’être humain et la nature doivent être évités ou si nécessaires éliminés selon les avancées technologiques, en application du principe du pollueur –payeur ».
Une cour environnementale évacuée
Ces principes énoncés, dont il faut reconnaître qu’ils sont forcément novateurs en regard de l’ancienne constitution, sont-ils pour autant suffisants pour estimer que ces avancées sont le garant d’une attention particulière pour l’environnement en Valais ? Souvent écrites sans réelles mesures proposées et sans précisions, ces principes paraissent plutôt déclaratifs et, en l’état, insuffisants.
Constatons tout d’abord que nombre de propositions intéressantes faites dans les commissions n’ont pas passé la rampe des débats en plénum d’automne. Pour preuve et pour exemple, la proposition de la Commission 2, intitulée B.9.1 « Toute personne a droit de vivre dans un environnement sain et écologiquement harmonieux » qui a tout simplement passé à la trappe Certains articles proposés dans la commission 5 n’ont tout simplement pas été repris au niveau des principes, comme la notion d’économie circulaire, et c’est fort dommageable
Plus grave est le rejet en plénum de la proposition d’instituer une cour environnementale qui serait « chargée de trancher sur le plan civil, pénal ou administratif les questions de droit environnemental et de doit de la protection de la nature et du monde vivant ». Certes, cette proposition n’a été refusée que par 52 voix contre 49 et 4 abstentions. Les défenseurs de l’environnement auront à cœur de reprendre ultérieurement cette idée de cour environnementale qui s’avère indispensable de mettre en place si l’on veut disposer d’un pouvoir judiciaire capable de juger, d’interpréter, de mesurer, voire de vérifier ce qu’il va advenir de ces principes, à priori pétris de bonnes intentions. La création d’une cour environnementale serait un signal clair que l’on veut réellement instituer en Valais un véritable droit défenseur de l’environnement et une possibilité pour les citoyens d’y recourir.
Des lacunes à combler
Dès lors que manque-t-il pour que cette future constitution soit une réponse complète à la volonté de mettre en place une politique réellement environnementale en Valais ? Force est de constater qu’avec une lecture analytique critique, il y a des lacunes criantes dans bien des domaines et tentons d’en cerner les différentes dimensions.
D’abord, se rappeler que le développement durable est constitutif de trois dimensions, écologique, économique et sociale et qu’il implique de s’en imprégner dans chaque domaine traité, ce qui n’est pas tout à fait le cas. Ensuite se souvenir que nous vivons sous la menace de changements climatiques globaux, que nous constatons une dégradation réelle de la biodiversité et que nous vivons dans une société qui consomme de manière excessive des ressources en voie d’épuisement. Pour une constitution imaginée d’abord pour les prochaines générations, il y a urgence d’en tenir compte et un peu plus de précisions dans les formulations des principes s’impose. La charge écologique en Valais a un énorme impact sur l’environnement, notamment sur trois secteurs clés que sont l’alimentation, le logement et la mobilité, mais aussi sur d’autres domaines connexes.
Voici un recensement objectif des lacunes relevées au travers d’une lecture systémique des principes et à la lumière de considérations environnementales globales.
- Dans les buts de l’Etat à l’art. 106, il conviendrait d’ajouter ce paragraphe éthique : « l’Etat garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatique ».
- Dans le chapitre consacré au développement économique, sous politique économique, à l’art. 413, il s’agirait de compléter l’alinéa 4 qui dit que l’Etat et les communes « encouragent les efforts de l’économie visant à préserver et à créer des emplois de qualité, respectueux de l’humain et de son environnement » en rajoutant une mesure adéquate, à savoir favoriser financièrement les entreprises présentant un bon bilan environnemental.
- La promotion économique (art. 418) devrait quant à elle encourager la création d’entreprises et de start-ups qui développent des techniques de production respectueuses de l’environnement. Le financement devrait être axé sur l’encouragement d’innovations écologiques, dans des investissements verts, par la création de conditions-cadre et d’instruments financiers adéquats.
- Dans le chapitre consacré à la mobilité, l’art. 501 est particulièrement évasif en disant que l’Etat « favorise les transports collectifs et la mobilité douce », s’abstenant de parler du covoiturage et oubliant qu’une mobilité respectueuse de l’environnement devrait s’accompagner de mesures fortes comme le renforcement du bonus écologique des véhicules peu polluants et du malus écologique des véhicules polluants, voire proposer l’interdiction de la vente de voitures neuves très polluantes.
- Quant à l’aménagement du territoire (art. 500), il serait judicieux de compléter cet article où l’Etat et les communes « veillent à l’occupation rationnelle du territoire et à l’utilisation judicieuse et mesurée du sol » par des précisions utiles comme le fait d’interdire toute artificialisation des terres tant que la réhabilitation de l’existant est possible, de stopper les aménagements de zones commerciales périurbaines ou de renforcer la protection des espaces agricoles périurbains.
- Sur le plan du logement (art. 616), il conviendrait de compléter les deux très courts articles par des mesures nécessaires comme le renforcement de l’obligation de rénovation thermique des logements et bâtiments, l’interdiction ou la limitation du chauffage électrique et de la climatisation. Voire en complétant l’art. 502 traitant de l’énergie et du climat.
Les impensés
Le chapitre intitulé biodiversité, environnement, nature et paysage (art. 505) est assez lacunaire car il n’évoque ni les conséquences sur le climat, ni les problèmes posés par les émissions et rejets de gaz à effet de serre. Il ne développe pas non plus la notion centrale de biodiversité et n’inclut pas l’impératif de développer des infrastructures écologiques.
Le paysage est un autre parent pauvre. Il ne fait pas l’objet de mesures concrètes comme l’urbanisation vers l’intérieur, la prévention de la construction hors zone à bâtir, la séparation entre territoire constructible et non constructible, une politique des agglomérations, la préservation de biotopes, ou encore la création de parcs d’importance régionale.
Des secteurs environnementaux majeurs comme les dangers naturels avec les potentiels dangers sur les vies et les biens matériels, les accidents majeurs liés aux transports de marchandises, les risques des produits chimiques biocides et phytosanitaires, les sites contaminés et la nécessité de leur assainissement, la biosécurité, sont les autres impensés des principes évoqués à l’art. 505 qui ne parlent que « des impacts gênants ou nuisibles ( !) » qui « doivent être évités». Ces thèmes pourraient faire l’objet d’un meilleur « traitement » en termes de contrôle.
Les déchets et les matières premières comme les matériaux pierreux sont également oubliés. Introduire des notions essentielles comme éviter le gaspillage, diminuer et valoriser les déchets, récupérer les matériaux de déconstruction, recycler qualitativement, éliminer écologiquement, seraient des ajouts significatifs. La notion d’économie circulaire ou d’économie verte, pourtant fondamentale, est carrément ignorée.
Le terme de pollution est un autre grand absent du débat. Quid de la pollution sonore ou lumineuse, des risques environnementaux pour les populations ou des dommages corporels liés, quand on songe aux pollutions anciennes ou actuelles qu’ont connu le Valais en relation avec le fluor, le mercure ou les risques liés à l’utilisation de produits biocides et/ou phytosanitaires dans les vignes ?
Au terme de cette lecture, il est clair que les principes retenus jusqu’à présent sont insuffisants pour couvrir toute la gamme des exigences environnementales et le défi d’une constitution moderne serait de se doter de principes et de mesures plus concrets pour réaliser des objectifs accessibles pour un véritable développement durable en Valais. Car une constitution a une valeur d’exemple et elle devrait être anticipatrice. Le grand « green new deal » promis n’est qu’est encore qu’au stade des intentions et tout est encore à construire et à approfondir pour la suite des travaux de la Constituante.
Jean-Yves Riand
Sion, le 21 janvier 2021