Grand Conseil : comment attribuer les sièges aux régions?

Mardi 2 novembre, la Constituante discutera de la composition du futur Grand Conseil. En particulier, elle se demandera comment répartir les sièges entre les régions du canton. Un grand nombre d’amendements a été déposé sur l’article 710 qui règle le mode d’élection du Grand Conseil. Plusieurs modèles d’attribution des sièges sont sur la table (sic). Qu’en penser? Quels effets ont-ils? 

En résumé (tl; dr)  : 

  • Le modèle utilisant la répartition des sièges selon la population résidante sans mesure de protection, utilisé dans la plupart des cantons et à la Confédération, provoque une perte de sièges pour le Haut-Valais par rapport à la situation actuelle.
  • Les modèles alternatifs proposés par les groupes politiques ont un effet de protection variable sur le Haut-Valais, mais provoquent des distorsions dans le Valais romand:
    • Les modèles utilisant la répartition selon la population suisse prétéritent Sierre, Monthey et Martigny au bénéfice de Sion.
    • Les modèles attribuant 5 sièges par région ont un effet négatif important sur Sion, et dans une moindre mesure sur Martigny et Monthey, tout en favorisant Sierre.
  • Le modèle proposé par la commission est une position de compromis qui évite les distorsions de représentation entre régions du Valais romand tout en évitant une perte trop brutale de sièges dans le Haut.

Illustration de ces conclusions, l’effet en 2033 pourrait être celui du graphique servant d’en-tête à cet article.

D’accord, on a brûlé les étapes. Reprenons. 

Tout d’abord, comment les autres cantons répartissent-ils les sièges ? La quasi-totalité d’entre eux attribue les sièges aux arrondissements électoraux en proportion de leur population résidante totale*. La Confédération procède de même pour attribuer les sièges au Conseil national depuis 1848. La justification démocratique de cette méthode est immédiate: l’ensemble de la population est soumise aux lois, donc celles et ceux qui les écrivent (les député-es) représentent l’ensemble de la population de leur région, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes, suisses ou non. A ce titre, toute la population doit être comptée.

A l’inverse, les sièges au Grand Conseil valaisan sont actuellement répartis en proportion de la population suisse. Comme le Haut-Valais accueille moins de personnes étrangères, cette répartition lui attribue de fait entre 2 et 3 sièges de plus qu’une répartition selon la population résidante. 

La commission 7 (dont je fais partie) propose de séparer la question générale de la répartition des sièges (qui impacte chaque région) de la question d’une protection de la minorité linguistique (qui impacte Brig et Visp). Pour répondre à la première, elle propose de répartir les sièges selon la population résidante totale à l’instar des autres cantons. Pour répondre à la deuxième, elle introduit un mécanisme explicite de protection de la minorité : au-dessous du quart de la population, la perte de sièges du Haut-Valais doit être divisée par deux. La protection implicite actuelle (répartition selon la population suisse) ne protège la minorité linguistique que par hasard au vu de la situation démographique particulière des régions du canton qui pourrait changer. Dans une perspective de cohésion cantonale, il semble pertinent de prévoir un mécanisme explicite.

En d’autres termes, la proposition de la commission est la suivante :

  • Répartition selon la population résidante totale, avec mesure de protection.
  • En outre, afin d’éviter une perte brusque à court terme d’env. 2 sièges pour le Haut-Valais, la commission propose une disposition transitoire : pour les 2 prochaines élections, Brig et Visp reçoivent un nombre de sièges proportionnel à leur population suisse, sans mesure de protection. L’évolution démographique à 10 ans permettra de passer en douceur et sans rupture de la disposition transitoire au nouveau système. 

Les propositions amenées par les groupes politiques au débat sont les suivantes :

  • PDCVr / UDC / SVPO : répartition selon la population suisse, sans mesure de protection (statu quo par rapport à la situation actuelle).
  • VLR / PS-GC : répartition selon la population résidante totale, sans mesure de protection (même méthode que la majorité des cantons).
  • CVPO : répartition selon la population suisse, avec mesure de protection.
  • CSPO : attribution de 5 sièges à chacune des 6 régions, puis répartition des 100 sièges restants selon la population résidante totale
  • SVPO : 5 sièges à chaque région, puis répartition selon population suisse
  • Zurbriggen : 5 sièges à chaque région, puis répartition selon taille du corps électoral
  • Perruchoud : attribuer 29 sièges au Haut-Valais, 29 au Centre et 29 au Bas, puis élire les 43 personnes restantes dans une circonscription unique sur l’ensemble du canton.

Quel serait l’effet de ces mesures ? Si l’on prend comme référence la pratique des autres cantons, soit une répartition selon la population totale sans mesure de protection (identique à l’amendement VLR/PS), voici les propriétés des méthodes proposées :

  • Une répartition selon la population suisse favorise les régions à faible taux de personnes étrangères et prétérite les autres. Concrètement : le Haut-Valais est favorisé, tandis que Sierre, Martigny et Monthey sont particulièrement perdantes.
  • L’attribution de 5 sièges par région favorise les régions plus petites que la moyenne et prétérite les grandes. En pratique, Brig, Visp et Sierre sont favorisées, alors que Martigny, Monthey, et surtout Sion sont perdantes.
  • Une répartition selon la taille du corps électoral est plus ou moins similaire à la répartition selon la population suisse, tout en favorisant les régions avec peu d’enfants. Concrètement, le Haut-Valais est favorisé au détriment de Martigny et Monthey.
  • La répartition proposée par Perruchoud est plus disruptive. Elle offre un quota strict de 29 sièges au Haut, comme au Centre et au Bas d’ailleurs. Les 43 sièges restants sont occupés par les personnes les mieux élues sur l’entier du canton. De ce fait, il est impossible de connaître à l’avance leur répartition entre régions.
  • La mesure de protection protège la représentation du Haut-Valais (c’est sa raison d’être). L’investissement à consentir pour cette protection est partagé équitablement entre régions romandes.

A ce stade, un graphique tomberait à pic. Si ces mesures avaient été appliquées pour l’élection du Grand Conseil 2021, voici quel aurait été le résultat.

En rouge foncé tout à gauche, le scénario de référence (population totale, sans mesure de répartition). En rouge plus clair, la proposition de compromis de la commission incluant la protection du Haut-Valais. En différents tons de bleu, les différents amendements. L’amendement Perruchoud n’est pas représenté car il se base sur des prémisses trop différentes. A remarquer : tous les amendements prévoyant 5 sièges par région ont pour effet d’augmenter immédiatement la représentation du Haut-Valais (qui obtiendrait 34 à 36 sièges selon les méthodes, alors qu’actuellement, le Haut a 33 sièges au Grand Conseil).

Il est difficile de prévoir l’évolution de la population par district. Néanmoins, en réalisant une projection à 10 ans, il est probable que la répartition sera la suivante en 2033. (Le modèle Zurbriggen n’est pas représenté ici, faute de pouvoir prédire la taille du corps électoral de 2033).

Sur ce graphique, le double effet de protection et de compromis de la proposition de la commission (rouge clair) apparaît clairement. Tous les autres modèles provoquent des distorsions importantes de la représentation par rapport au scénario de référence (rouge foncé), surtout entre les régions du Valais romand. Tous les modèles protègent de fait assez bien le Haut-Valais par rapport au scénario de référence sans mesure de protection. En revanche, ils ont un effet de distorsion problématique dans le Valais romand : 

  • Les modèles utilisant la répartition selon la population suisse prétéritent Sierre, Monthey et Martigny au bénéfice de Sion.
  • Les modèles attribuant 5 sièges par région ont un effet désastreux sur Sion, et un effet négatif sur Martigny et Monthey, tout en favorisant Sierre.

En matière de protection du Haut-Valais, aucun modèle autre que celui proposé par la commission n’offre de protection explicite de la minorité linguistique. Les modèles utilisant la population suisse protègent les régions à faible taux d’étrangers. Comme le taux d’étrangers augmente dans le Haut-Valais, il est raisonnable de penser que la protection actuelle de fait sera amenée à disparaître. Les modèles attribuant 5 sièges à chaque région protègent les petites régions et discriminent les grandes (surtout Sion). La protection de la minorité linguistique dans ces modèles est donc, au pire vouée à disparaître, au mieux défaillante car liée à des contingences démographiques.

En conclusion, la proposition de la commission est celle qui offre le compromis le plus acceptable.

Florian Evéquoz

 

* Seuls Uri et les Grisons répartissent les sièges entre régions selon la population suisse. Bâle-Campagne répartit en proportion de la taille de l’électorat inscrit.