Ce matin du 3 septembre 2020, un soleil resplendissant accueille les constituantes et constituants valaisans à la Simplonhalle de Brig. La première séance plénière depuis une année. Au programme, un tour de discussions préliminaires sur les propositions des commissions 1, 2 et 3. Mais les nuages noirs sont nombreux au-dessus des travaux de la Constituante. L’ambiance des retrouvailles ne parvient pas à cacher une tension palpable autour des travaux de la commission 2. Outre les décisions de fond qu’elle va entériner, la majorité du plenum va prendre une décision lourde de conséquences. Elle s’apprête à battre en brèche le débat démocratique. La Constituante n’est pas un parcours tranquille, c’est une marche de montagne en terrain escarpé. La majorité semble avoir souhaité ajouter une règle: le long de ce chemin, presque tous les coups sont permis.
Mais retour à la Simplonhalle. La commission 2 est en charge d’esquisser un catalogue des droits et libertés des résidentes et résidents du canton. Il y a une année, personne n’aurait parié une tournée sur les remous qu’allait causer cette commission. Elle a une mission somme toute assez simple: ré-actualiser la protection des droits et des libertés, la faire correspondre aux nouvelles menaces dans le but que les résident-es du canton jouissent de la meilleure protection possible. En ce jeudi matin, son sort semble pourtant bel et bien scellé. Le débat de fond n’aura pas lieu et un travail de remplacement réalisé en coulisses par le groupe VLR (Valeurs libérales-radicales) sera imposé par les groupes VLR, UDC et PDC.
Le plan est aussi limpide que direct. Le groupe VLR a déposé un amendement qui souhaite faire coup double. En un seul vote, le VLR veut biffer tous les droits fondamentaux proposés par la commission et les remplacer par sa propre proposition. Son premier point stipule ainsi que tous les droits fondamentaux de la commission 2 sont “caducs”. Le travail de la commission – càd 13 personnes de tous les partis, au travail durant 9 mois pour un rapport de 25 pages – serait tracé en un seul vote. Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Non content d’avoir effacé l’entier du travail de la commission, le groupe VLR propose sa propre mouture de catalogue des droits fondamentaux. Son amendement fait 4 pages, alors que l’article 59 du règlement de la constituante précise clairement qu’une “proposition d’amendement vise à modifier, entièrement ou partiellement, un article ou un alinéa du projet de Constitution soumis à délibération, voire à introduire dans celui-ci un nouvel article ou un nouvel alinéa”. 4 pages de ré-écriture complète par une commission de l’ombre. Certains éléments sont identiques au travail de la commission, certains sont nouveaux, une grande partie disparaît. Des innovations majeures comme la protection de l’intégrité numérique, le droit à un environnement sain et harmonieux, le droit à l’accès à des données publiques ouvertes, une protection plus complète contre la discrimination: à la trappe.
Mais il y a plus grave. L’amendement VLR remet frontalement en question le principe même de l’assemblée constituante. Il nie la possibilité du débat de fond. A 15h50, sous un soleil toujours radieux, les groupes VLR, UDC et PDC acceptent l’amendement à 58,2 % et mettent fin à la discussion avant que les débats de fond ne commencent (pour la liste précise des votant-es, consultez cette page). Les droits proposés par la commission après 9 mois de travail ne seront jamais discutés par le plénum. En un seul vote, toutes les propositions deviennent caduques et la proposition VLR est acceptée telle quelle. Là aussi, aucun débat n’est possible. Les citoyennes et citoyens valaisans ne sauront jamais ce que pensaient leurs élu-es des droits fondamentaux proposés par la commission 2. A 15.50, le dossier de la commission 2 se referme avant d’avoir été ouvert.
Cette décision est lourde de conséquences pour la suite des travaux de la constituante. Quelques leçons à tirer:
- Cette décision rappelle la fragilité du processus démocratique: le droit de débattre, d’échanger des arguments, puis de décider article par article sont au coeur du travail législatif. Le règlement de la constituante le prévoit, l’ensemble de notre système politique le protège. Le président de la commission 2, Georges Vionnet, a tenté de convaincre la majorité de respecter le règlement. Mais le règlement ne pèse pas lourd quand la majorité veut passer en force. Cette même majorité, lassée de tenter de faire croire que sa stratégie était compatible avec le règlement, a d’ailleurs fini par énoncer sa vision des débats: la constituante a toute compétence de s’éloigner de son règlement. Dont acte. Mais pourquoi ne pas agir comme ça pour chaque commission ? Pourquoi s’embarrasser d’un débat public et transparent, et de votes article par article ? En l’état, rien n’empêche la majorité de recommencer cette manoeuvre à volonté.
- Si le plénum avait pu voter article par article, les travaux de la commission 2 auraient été fortement remis en question. C’est le jeu démocratique. Mais le 3 septembre, c’est l’idée même du débat qui a été bafouée. Cette méthode de hold-up démocratique rappelle l’importance de la transparence du débat public. La politique doit se dérouler en pleine lumière, sur la place publique. Et ceux qui foulent au pied le règlement qu’ils se sont eux-mêmes donné doivent le dire publiquement.
- Cette méthode a des avantages pour les partis conservateurs: elle leur a permis d’éviter de dire “non” à certains droits fondamentaux. Ils ont pu dire “non” une fois pour l’ensemble du catalogue. Mais la liste des amendements proposés par les partis est publique, elle peut être consultée ici. Que chacun-e se fasse une idée précise de qui voulait tracer quels droits fondamentaux.
- Pour tuer la commission 2, on a bien sûr fait dire qu’elle avait la rage. L’argument est aussi vieux que la politique elle-même. Afin d’éviter de s’aventurer sur le fond, les groupes VLR, PDC et UDC ont attaqué la forme. La commission a trop travaillé, trop de droits, trop de propositions, trop d’innovations, trop précis. Tout était “trop” dans le travail proposé. Plus inquiétant, les critiques ont fait apparaître une vision de la démocratie comme recherche désespérée d’harmonie. Ainsi la critique de nombreux collègues: la commission n’avait pas bien travaillé, car il y avait trop de rapports de minorité. Comprenez: une commission qui travaille bien est une commission où tout le monde est d’accord. Mais rien n’est plus faux en démocratie, surtout dans une phase de travail préliminaire. Quand tout le monde est d’accord sur tout, c’est que la majorité a muselé ou empêché la discussion. Ou que ceux qui ne sont pas d’accord ont préféré se taire. Les désaccords sont signe de vitalité et d’échanges d’idées. Une bonne nouvelle. Le défi consiste à dépasser cette première phase pour ensuite trouver des solutions de compromis là où des terrains d’entente existent. Le tout dans le dialogue et le respect des partenaires politiques.
- Ce fâcheux incident rappelle que le rôle du VLR, mais également celui des “jaunes” (Chrétiens-sociaux du Haut-Valais), de certains PDC et de certains UDC sera clef pour les travaux de la constituante. On le savait déjà sur le plan des orientations politiques. En plus, le 3 septembre a rappelé que ces groupes politiques seraient essentiels pour assurer la qualité des débats et le respect des principes fondamentaux de la démocratie. Il a fallu un débat sur les droits fondamentaux pour le rappeler. Quelle ironie.
La journée se termine à la Simplonhalle de Brig. Le président de séance est presque embarrassé. Il est 16.45 quand il lève la séance. Tout a été si vite. Trop vite.
Johan Rochel
Prise de position du constituant Florian Evequoz durant la plénière du 3 septembre:
https://vsconst.recapp.ch/viewer/detail/5f510327497f70753c5c7dc4_2_23?deputy_id=1322
Photo Frederik Rubensson, Flickr, CC.