Suite aux assermentations de septembre 2020, il y a aujourd’hui plus d’un tiers de de femmes (34%) dans la Constituante. Une nouvelle réjouissante pour l’équilibre des genres en politique valaisanne!
Lors du plénum des 8-9 octobre, la Constituante votera sur plusieurs mesures visant à garantir une meilleure diversité de genres en politique valaisanne. D’où l’intérêt de notre petite analyse du jour, un « cliché » de la visibilité des femmes lors de la dernière plénière, avec, nous le verrons, quelques raisons de viser des changements de pratique. Les débats d’octobre réservent à ce titre leur lot de propositions innovantes. Il y est question de promouvoir la diversité des genres au Grand Conseil, au Conseil d’Etat, dans la justice et l’administration, tout comme dans les instances communales. On se réjouit d’y être. Mais une chose à la fois, revenons à notre analyse.
Nous avions examiné l’an dernier dans un article la répartition du temps de parole entre hommes et femmes lors de la séance plénière du 29 avril 2019. A l’époque le micro avait été tenu 83% du temps par des hommes, 17% par des femmes. Dix-huit mois plus tard, lors des plénières de septembre 2020, comment les choses ont-elle évolué ? Voici les chiffres.
La situation s’améliore sensiblement par rapport à celle de 2019, même si les hommes sont toujours plus loquaces que leur nombre en plénum ne le laisse penser : 66% des membres de l’assemblée sont des hommes, et ils occupent 79% du temps de parole. A noter que le président de séance compte à lui seul pour une part importante du total. Mais même si l’on retire son temps de parole, les hommes parlent tout de même 74% du temps restant et les femmes seulement 26%.
Temps de parole par groupe politique
Intéressons-nous maintenant aux groupes politiques, en excluant les prises de parole du président de séance (Felix Ruppen, CVPO). Le graphique ci-dessous présente ces temps de parole par groupe et genre, en minutes. On peut y lire par exemple que les membres d’Appel Citoyen se sont exprimés environ 78 minutes au total, dont 42 minutes pour les hommes du groupe et 36 minutes pour les femmes.
Les groupes Appel Citoyen et des Verts sont proche de la parité en terme de partage du temps de parole. Chez les Verts, les hommes se sont exprimés 53% du temps et les femmes 47%. Chez Appel Citoyen, c’est 54% et 46%. Le groupe Zukunft (ZUK-VS) est le seul où les femmes ont davantage parlé que les hommes (76%).
Parmi les groupes où les hommes occupent la majeure partie du temps de parole, citons le SVPO (100% du temps de parole est masculin), l’UDC (95%), le VLR (90%), les groupes PDC du haut CVPO (noirs) et CSPO (jaunes) (84% chacun). Au PDC du Valais romand, les femmes ont parlé environ 36% du temps contre 64% pour les hommes
Répartition des genres et temps de parole par groupe
La répartition des genres n’est pas uniforme dans les groupes politiques. On trouve généralement à gauche une plus forte proportion de femmes que dans les groupes de droite. Le groupe SVPO (UDC du Haut) ne compte même aucune femme.
A ce titre, il est pertinent de comparer la proportion de femmes dans un groupe politique avec la proportion du temps de parole dévolu aux femmes de ce groupe. Comme hypothèse de départ, on pourrait s’attendre à ce que, si un groupe compte par exemple 30% de femmes celles-ci occupent 30% du temps de parole. Pourtant, à l’exception d’un seul parti (lequel? suspense), ces proportions sont toujours différentes. Notez que pour cette analyse, les chiffres excluent le temps de parole du président de séance (Felix Ruppen, CVPO toujours).
Lors de la séance de septembre, trois groupes politiques ont accordé une plus grande part de temps de parole aux femmes que la proportion de femmes dans le groupe ne le laissait imaginer. Le graphique ci-dessous présente ces chiffres. On le lit de la manière suivante. Dans le groupe Zukunft (ZUK-VS) les femmes comptent pour 67% des membres du groupe (4 femmes sur 6 membres), chiffre représenté dans la colonne de gauche. Dans la colonne de droite, le chiffre de 76% signifie que les femmes ont occupé 76% du temps de parole du groupe (25 minutes sur 32). Chez Appel Citoyen (AC), le groupe compte 38% de femmes, qui ont occupé 46% du temps de parole du groupe. Le SVPO ne comptant aucune femme, les chiffres sont identiques à 0% dans les deux colonnes.
La pente de la ligne permet d’identifier rapidement les groupes où les femmes s’expriment proportionnellement plus que leur nombre dans le groupe. Les lignes “montantes” vers la droite signifient que les femmes ont bénéficié d’un temps de parole supérieur à la proportion du groupe qu’elles constituent. Une ligne “plate” signifie que nous nous trouvons dans la situation de notre hypothèse de départ : la proportion de femmes et la proportion de temps de parole occupé par les femmes sont égales pour le groupe politique en question.
Dans les autres groupes politiques, les femmes ont occupé une proportion de temps de parole systématiquement inférieure à la proportion de femmes dans le groupe comme le montre le graphique ci-dessous. Les lignes y sont “descendantes”. Par exemple, chez les Verts, si le groupe compte 70% de femmes, celles-ci ne monopolisent pas pour autant le temps de parole : seulement 47%. En d’autres termes, les hommes du groupe des Verts se sont exprimés davantage que leur présence dans le groupe pouvait le laisser croire, pour atteindre un temps de parole quasiment identique entre les genres. Au PDC, la proportion de temps de parole est remarquablement analogue à la proportion de femmes du groupe (38% de femmes, 36% de temps de parole – fin du suspense!). Dans les groupes PS (AdG), UDC, VLR, CSPO et CVPO, la proportion de temps de parole des femmes est inférieure à la proportion de femmes dans le groupe. Par exemple, alors que le groupe VLR compte près d’un tiers de femmes, celles-ci n’ont tenu le micro que pour un dixième du temps de parole du groupe.
Comment l’expliquer ? Rôles spécifiques, volonté active des groupes, et circonstances
Il y a plusieurs facteurs explicatifs. Tout d’abord, certains membres de la Constituante possèdent un rôle structurel qui explique de plus nombreuses prises de paroles. Il s’agit en particulier de la personne qui préside la séance, des président·te·s ou rapporteur·e·s de commissions et du bureau, et des chef·fe·s de groupe. Ces choix structurels engagent la responsabilité des groupes et des commissions qui désignent les titulaires de ces rôles. En tant que tels, ils peuvent constituer un indice du degré d’importance accordé à la question de la représentation. Le temps de parole des rôles structurels est indiqué dans le graphique suivant.
Commençons par les groupes dans lesquels aussi bien des hommes que des femmes possèdent des rôles structurels. Chez Appel Citoyen, Jean-François Lovey est chef de groupe et Cilette Cretton présidente de la commission 3. Chez Zukunft, Claudia Alpiger est rapporteure de la commission 3 et German Eyer chef de groupe. Chez les Verts, Georges Vionnet préside la commission 2 et Laurence Vuagniaux officie comme cheffe de groupe.
Dans les autres groupes, seuls des hommes, ou seules des femmes, ont des rôles structurels pertinents pour la séance de septembre dernier. Le PDC ne comptait pour cette session que des femmes dans ces rôles, les deux cheffes de groupes Marie Zuchuat et Kamy May et Natacha Maret, rapporteure de la commission 2. A l’inverse, pour le CVPO, le VLR, le SVPO, le CSPO, le groupe PS (AdG) et l’UDC, seuls des hommes sont titulaires de rôles structurels pour cette session.
Au delà de la question structurelle, on peut supposer que le choix de la répartition des prises de parole « libres » découle au moins partiellement de la volonté active des groupes. Plus vraisemblablement, ce sont les circonstances qui décident davantage qu’une volonté active de promotion d’une équité de parole. Au-delà des obligations structurelles déjà mentionnées, pour quelles circonstances peuvent conduire à prendre la parole en plénière ? Risquons une liste non exhaustive de raisons possibles:
- Un intérêt marqué pour le sujet débattu. Dans ce cas, il est permis de douter que le genre ait vraiment beaucoup d’importance.
- Une volonté de se rendre visible, par exemple en vue d’une élection future hypothétique. La qualité des interventions pourrait toutefois être plus déterminante que leur longueur ou leur nombre.
- Un talent oratoire particulier, à même de convaincre ou, a minima, de mieux porter les message politiques.
- Une volonté explicite des groupes de mettre en valeur particulièrement certaines personnes, notamment en privilégiant des catégories comme les femmes. Dans ce cas, il peut y avoir un soin pour l’image que l’on donne, ou alors une réelle volonté de promouvoir par ex. un meilleur équilibre des genres, comme volonté consciente d’action politique.
Le graphique ci-dessous présente la répartition de ces prises de parole libres. Le tableau des genres y est très différent. Dans tous les groupes sauf Zukunft (où seule une femme sans rôle structurel, Madeleine Kuonen-Eggo, a parlé) et les Verts, on constate un déséquilibre flagrant au bénéfice des hommes, qui parlent jusqu’à 16 fois plus que les femmes : 16x plus à l’UDC, env. 6x plus aux VLR et CVPO, 4x plus au PDC, 2.5x plus chez Appel Citoyen, et 2x plus au PS (AdG) et CSPO.
Conclusion
Quelles conclusions tirer de ces analyses ? En terme de visibilité des genres en politique, les chiffres bruts donnent une indication intéressante : les hommes restent plus bavards que les femmes dans les plénières. Or, la présence visible des femmes par leurs prises de parole matérialise le rôle qu’elles jouent dans le débat public. Sans souci de privilégier activement cette visibilité, notamment par un meilleur équilibre entre le nombre d’hommes et de femmes dans l’assemblée, ou par le biais de nominations équitables entre hommes et femmes dans les rôles structurels, le risque existe d’une disparité importante dans l’influence effective et perçue de chacun des genres en politique.
On constate également qu’un nombre plus grand de femmes dans l’absolu comme dans les rôles structurels ne signifie pas mécaniquement que celles-ci prennent davantage de place dans le débat. Là encore, une conscience accrue des déséquilibres est nécessaire au sein des groupes pour déboucher sur des mesures de promotion de prises de parole plus égalitaires.
L’amélioration de la visibilité des femmes mentionnée dans l’introduction est certes réjouissante. Cependant, la médiatisation des débats ne suffit évidemment pas à réduire toutes les inégalités. D’autres mesures de promotion active de la diversité des genres en politiques sont nécessaire pour garantir aux deux genres la place qu’ils méritent.
A ce titre, les débats des commissions 7, 8, 9 et 10 durant les plénières de début octobre réservent un lot de propositions innovantes. Il y est question de promouvoir la diversité des genres au Grand Conseil, au Conseil d’Etat, dans la justice et l’administration, tout comme dans les instances communales. On se réjouit d’y être !
Florian Evéquoz et Bernard Oberholzer
Chiffres et graphiques :