Le Grand Conseil idéal

En démocratie, le peuple décide de tout ce qui concerne la vie en société. Voilà pour le principe. En réalité, s’il fallait réunir toute la population avant de prendre chaque petite décision, ce serait moyennement pratique. Et ça prendrait tout notre temps. Pour pouvoir s’occuper de sa famille, gagner sa vie, jouer aux cartes ou pratiquer l’aqua-poney gonflable (à choix), la population a donc décidé de déléguer son pouvoir à des autorités. Celles-ci sont généralement au nombre de trois : le Parlement qui écrit les lois, le Gouvernement qui les met en œuvre, et la Justice qui arbitre les conflits et punit celles et ceux qui n’ont pas respecté la loi. Ce principe s’appelle la séparation des pouvoirs. Il évite de concentrer le pouvoir auprès d’un petit groupe qui pourrait se l’accaparer pour lui-même sans rendre de compte à personne et transformer la démocratie en oligarchie ou en dictature. Il permet aussi un contrôle des autorités les unes sur les autres.

Parmi les trois autorités, le Parlement est « l’autorité suprême » (art. 148, Constitution fédérale) car il écrit les lois qui forment la base de l’Etat de droit et détermine ainsi le cadre d’action des autres pouvoirs : les lois sont ensuite mises en œuvre par le Gouvernement pour organiser la vie en société et utilisées par les tribunaux pour rendre la justice. Le peuple élit directement le Parlement qui légifère en son nom* . Dans ce sens, le Parlement constitue donc l’institution clef de la démocratie. C’est pourquoi il est essentiel que les règles qui fixent son fonctionnement soient bonnes, afin qu’il s’approche autant que possible d’un « Parlement idéal ».

Quels principes devraient respecter ce Parlement idéal ? J’en vois sept.

  • Milice, ou adéquation entre vie politique et vies privée, familiale et professionnelle. Dans la tradition politique suisse, la politique n’est pas un métier, du moins pas lorsqu’on est parlementaire au niveau cantonal. Ainsi, l’activité parlementaire doit laisser suffisamment de place à la vie privée, familiale et professionnelle. Ce point est particulièrement important pour ouvrir les portes du Parlement à certaines catégories de population qui disposent de peu de flexibilité pour organiser leur temps (professions salariées, femmes, parents,…)
  • Efficacité ou « gouvernabilité ». Le Parlement doit pouvoir faire son travail (écrire des lois) de manière efficace, rapide et économe. Dans ce sens, il faut veiller à ne pas introduire de mécanismes qui bloqueraient sa capacité d’action. Notez que cette valeur pourra se retrouver en tension avec la valeur de diversité ou celle de représentativité. L’efficacité serait maximale si une seule personne pouvait décider de tout. Pour des raisons évidentes, il n’est pas souhaitable que cela arrive : une saine dose de représentativité et de diversité assurent la légitimité du Parlement.
  • Diversité et protection des minorités. La démocratie est parfois décrite comme « la tyrannie de la majorité ». Or, la population est par nature diverse. Elle comporte des groupes minoritaires dans la population ou sous-représentés en politique, qui ont une identité et des besoins propres. Il s’agit par exemple des minorités linguistiques, des partis politiques minoritaires ou des groupes de personnes vulnérables à qui il faut donner une voix qui pèse dans le débat public, afin de garantir le respect de leurs droits fondamentaux.
  • Indépendance. La mission ultime du Parlement est de veiller à l’intérêt commun de la population. En théorie, ses membres devraient être capables de concevoir et défendre cet intérêt commun en toute liberté. En pratique, ce travail revient souvent à trouver une position d’équilibre entre des intérêts particuliers. Dans ce sens, chaque parlementaire et parti politique doit pouvoir disposer d’une indépendance suffisante, notamment financière, pour ne pas être soumis de façon excessive au bon vouloir de groupes dont les intérêts seraient en inadéquation avec le bien commun. Ou alors qu’ils y soient soumis en toute transparence, qui est notre principe suivant.
  • Transparence. Le Parlement reçoit son mandat du peuple et doit lui rendre des comptes. Le peuple a notamment le droit d’être informé du détail des travaux du Parlement et des liens d’intérêt des membres qu’il y élit.
  •  Equilibre du pouvoir entre législatif et exécutif (y compris administration). Au niveau cantonal, le gouvernement (Conseil d’Etat) est l’organe étatique qui possède le pouvoir le plus visible et le plus immédiat. Soutenu par l’administration, il est bien doté en personnel et son travail ne s’arrête jamais. Dans ce contexte, il existe un risque que le Parlement, chargé de fixer le cadre et le contrôle de l’action gouvernementale, manque de ressources et d’outils pour bien le faire. Le Parlement devra être doté de pouvoirs suffisants pour que son titre d’autorité « suprême » ne lui soit pas confisqué par un gouvernement qui, dans le pire des cas, échapperait à son devoir de redevabilité.
  • Représentativité. Le Parlement, c’est le peuple en condensé. Il doit être le miroir de la population qui l’élit. Il doit donc représenter les différentes sensibilités, mais aussi les expériences de vie et les diverses caractéristiques sociales et démographiques de la population (âges, genres, professions, etc.). En tant que délégué du peuple souverain, le Parlement tire toute sa légitimité de cette valeur essentielle.

En pratique, ces principes entrent inévitablement en tension les unes avec les autres. Par exemple, un Parlement moins nombreux est plus efficace, mais il est aussi moins divers et moins représentatif. Un Parlement parfaitement indépendant devrait interdire à ses membres d’exercer un quelconque mandat annexe, mais dans ce cas il deviendrait un Parlement professionnel, incompatible avec le principe de milice. Les règles à mettre en place pour s’approcher du Parlement idéal doivent donc trouver un chemin médian à travers ces valeurs idéales.

Dans un prochain billet, nous discuterons de quelques instruments concrets à mettre en oeuvre pour y parvenir. Il y sera question de suédoises.

Florian Evéquoz

 

* Dans une démocratie directe comme la nôtre, le peuple conserve tout de même le droit essentiel de proposer lui-même des lois (initiative) et de se prononcer sur des lois proposées par le Parlement (référendum).